Actes de paroles du collectif d'écriture
du Théâtre d'Aurillac, initié par Nadége Prugnard
le 31 mai 2012
Mesdames et Messieurs,
Nadège Prugnard m’a demandé de vous donner envie – une envie assez spéciale – l’envie d’écrire. Pas facile, pas facile du tout, pas facile pour moi! Alors parlons de moi, de mon envie personnelle. Pas facile non plus ! Écrire c’est quoi ? Ce n’est pas qu’une envie, c’est plus et moins à la fois. C’est du travail, c’est de la passion, c’est du plaisir. Même érotique si non sexy. Imaginez donc : Toutes ces approches, ces reculs devant les tabous, ce va et viens de la recherche, de la trouvaille, de l’échec. Et on recommence! On monte, on descend. On est en mer, véritablement. Ce n’est pas la vie, c’est l’autre vie. Écrire pour ne pas mourir ! Écrire comme manger, boire ou faire l’amour. Écrire c’est désirer. Le désir de comprendre le monde et moi-même. C’est d’arrêter le temps ou avancer ce temps, cet énigme qu’on appelle T – E – M – P – S ! Je m’étonne, je prolonge l’étonnement. Je ne cède pas devant l’inexplicable, je le prends dans mes bras, sous mon stylo. Tracassé la nuit, le jour, par une mouche, un mensonge, la mort, un doute, un décybel stridant, un silence pesant, la Syrie, Narkozy, un cauchemar francais, allemand, américain, africain . . . Est-ce que je change le monde? Non Qui NON. Le monde s’en fiche de moi. Le monde tourne, change tous les jours mais pas dans la bonne direction. Les guerres et les catastrophes du 21ième siècle seront pire que ceux du 20ième - ou pas. Moi je suis né au milieu de ce 20ième siècle, au centre des vieux enfers qui n’attendent que leurs modernisations. Prisonnier du Nucléaire, détenue de la Consommation, j’en profite confortablement dans l’apathie générale . . . j’écris ! Pourquoi ? Pourquoi après tout? Parce que c’est mon envie. Meine Lust ! Und diese Lust habe ich wiedergefunden in Aurillac. Et cette envie d’écrire, je l’ai retrouvée en Français, à Aurillac, à notre atelier d’écriture. Ensemble avec autres élèves du stage, nous avons appris l’écriture d’urgence. Inoubliable expérience personnelle. Vitale ! Et la vérité ? Elle se cache derrière la réalité qui ment . . . Mais, avant que je me taise, et si vous me le permettez encore, j’aimerais vous raconter une toute petite anecdote que je n’ai jamais raconté à personne, sauf à ma femme qui a dû corriger mon Français. C’était hier, non, avant-hier. Il faisait chaud, le ciel était bleu, le bassin d’Aurillac était vert et les volcans à l’horizon. Et moi sur la colline du Maurel, je me reposais à l’ombre d’un marronnier, le chant des oiseaux dans l’oreille qui m’endormait presque. Sorti de ma recherche sur le monde et sur moi-même, sorti de ce monde fou où nous sommes victimes et bourreaux à la fois, involontaires, à moitie volontaires au Congo et ailleurs. Je rêve, j’échappe à tout cela. Soudain un cri bruyant, c’est Roudi, notre âne, mon ami. Il me crie quelque chose. Mais quoi? Je comprend pas ! Mais si, si si ! Surpris, saisi par un bonheur immédiat, je me dis : Comme il est beau, le monde ! Qu’est-ce qu’il est beau encore ! Roudi, je crie. Tu as raison, je crie et j’éclate d’un rire joyeux et je ris de moi, le vieux mélancolique. Mais, c’est pas encore fini : Un deuxième cri. C’est le coq qui crie, m’alerte. J’ouvre grands les yeux et je vois là-bas dans la verdure du pré en contrebas ce taureau Salers magnifique, qui fouette les foutues mouches avec sa longue queue. Si longue qu’il me fouette moi aussi, qu’il me chuchote : Imbécile ! Écris, écris, ça donne . . . envie.