dimanche 3 juin 2012

Envie d'écrire

                           À l'occasion de la présentation de "C'est tes cris",

                                  Actes de paroles du collectif d'écriture

                 du Théâtre d'Aurillac, initié par Nadége Prugnard

                                                  le 31 mai 2012


Mesdames et Messieurs,
                                             Nadège Prugnard m’a demandé de vous donner envie – une envie assez spéciale – l’envie d’écrire. Pas facile, pas facile du tout, pas facile pour moi! Alors parlons de moi,  de mon envie personnelle. Pas facile non plus ! Écrire c’est quoi ? Ce n’est pas qu’une envie, c’est plus et moins à la fois. C’est du travail, c’est de la passion, c’est du plaisir. Même  érotique si non sexy. Imaginez donc : Toutes ces approches, ces reculs devant les tabous, ce va et viens de la recherche, de la trouvaille, de l’échec. Et on recommence! On monte, on descend. On est en mer, véritablement. Ce n’est pas la vie, c’est l’autre vie. Écrire pour ne pas mourir ! Écrire comme manger, boire ou faire l’amour. Écrire c’est désirer. Le désir de comprendre le monde et moi-même. C’est d’arrêter le temps ou avancer ce temps, cet énigme qu’on appelle T – E – M – P – S ! Je m’étonne, je prolonge l’étonnement. Je ne cède pas devant l’inexplicable, je le prends dans mes bras, sous mon stylo. Tracassé la nuit, le jour, par une mouche, un mensonge, la mort, un doute, un décybel stridant, un silence pesant, la Syrie, Narkozy, un cauchemar francais, allemand, américain, africain . . . Est-ce que je change le monde? Non Qui NON. Le monde s’en fiche de moi. Le monde tourne, change tous les jours mais pas dans la bonne direction.  Les guerres et les catastrophes du 21ième  siècle seront pire que ceux du 20ième  - ou pas. Moi je suis né au milieu de ce 20ième siècle, au centre des vieux enfers qui n’attendent que leurs modernisations. Prisonnier du Nucléaire, détenue de la Consommation, j’en profite confortablement dans l’apathie générale  . . . j’écris ! Pourquoi ? Pourquoi après tout? Parce que c’est mon envie. Meine Lust ! Und diese Lust habe ich wiedergefunden in Aurillac. Et cette envie d’écrire,  je l’ai retrouvée en Français, à Aurillac, à notre atelier d’écriture. Ensemble avec autres élèves du stage, nous avons appris l’écriture d’urgence. Inoubliable expérience personnelle. Vitale ! Et la vérité ? Elle se cache derrière la réalité qui ment . . . Mais, avant que je me taise, et si vous me le permettez encore, j’aimerais vous raconter une toute petite anecdote que je n’ai jamais raconté à personne, sauf à ma femme qui a dû corriger mon Français. C’était hier, non, avant-hier. Il faisait chaud, le ciel était bleu, le bassin d’Aurillac était vert et les volcans à l’horizon. Et moi sur la colline du Maurel, je me reposais à l’ombre d’un marronnier, le chant des oiseaux dans l’oreille qui m’endormait presque. Sorti de ma recherche sur le monde et sur moi-même, sorti de ce monde fou où nous sommes  victimes et bourreaux à la fois, involontaires, à moitie volontaires au Congo et ailleurs. Je rêve, j’échappe à tout cela. Soudain un cri bruyant, c’est Roudi, notre âne, mon ami. Il me crie quelque chose. Mais quoi? Je comprend pas ! Mais si, si si ! Surpris, saisi par un bonheur immédiat,  je me dis : Comme il est beau, le monde ! Qu’est-ce qu’il est beau encore ! Roudi, je crie. Tu as raison, je crie et j’éclate d’un rire joyeux et je ris de moi, le vieux mélancolique. Mais, c’est pas encore fini : Un deuxième cri. C’est le coq qui crie, m’alerte. J’ouvre grands les yeux et je vois là-bas dans la verdure du pré en contrebas ce taureau Salers magnifique, qui fouette les foutues mouches avec sa longue queue. Si longue qu’il me fouette moi aussi, qu’il me chuchote : Imbécile !  Écris, écris, ça donne . . . envie.

Autour de Roudi

Roudi vit avec nous, ses amies les juments, les chats et les poules quelque part en Auvergne. Parfois Roudi me regarde avec un œil tellement humain qu’il me fait penser à Lucius, le pauvre, qu’on a transformé en âne, L’âne d’or d’Apulée ; vers 125 après JC. Bien que cet âne, le fameux héro du premier roman de l’Antiquité, et Roudi dans son pré, vivent dans deux mondes tout à fait différents, ils ont quand même une chose en commun : Ils observent tous les deux les comportements bizarres si non atroces des êtres humains. Et j’imagine qu’ils ont de temps en temps envie de s échapper, de partir loin . . . Comme cet âne que je pus observer au cours du printemps 2004, alors que je me trouvais à bord d’un porte-conteneur qui me ramenait en Europe, après 20 ans passés au Japon.

Alors que défilait comme en rêve, sous mes yeux, l’Egypte du canal du Suez, j’aperçus us un troupeau d ânes, dont l’un s’échappa pour foncer droit vers le désert. Le frère de Roudi ! Et son propriétaire jurait et fouettait son ânesse, petite sœur de la Modestine de Stevenson, et lui donnait des coups de talons dans le ventre pour la lancer à la poursuite du pauvre fugitif…

Me voici donc maintenant en Europe, mais c est seulement il y a deux ans que je me suis décidé, l’hiver 2008/9, à écrire dans la langue de mon pays d’élection. Qui sait ! Si je ne m’étais pas cassé la cheville devant ma porte cet automne-là, j’aurais peut-être continué à écrire en Allemand. Et à vrai dire, j’ignore encore aujourd‘hui si quelqu’un, dans l’océan de Google, peut s’intéresser à ce que j’ai écrit et continuerai à écrire.