mardi 24 janvier 2012

CARPE DIEM!

Aujourd’hui on parle trop et pourtant on se tait  souvent, sur certains thèmes. Sur la Mort par exemple on ne parle pas assez, alors qu’il s’agit de la question fondamentale de notre existence. Né en 1941 à Berlin, la Mort m’est restée proche toute ma vie.

     Je parlerai de la mort dans mon enfance, puis dans le passé et le présent.

     ENFANCE

J’avais neuf ans quand deux camarades de jeu on voulu que je traverse avec eux la glace de la Baie de Lübeck où se trouvait prise l’épave d’un grand paquebot, avec tout son métal précieux, ces tuyaux de cuivre, ses robinets de laiton etc. Cela représentait beaucoup d’argent liquide, après la deuxième guerre mondiale, alors on allait charger tout ça dans des sacs qu’il fallait tirer sur la glace pour les apporter chez le marchand de ferraille. Mais la glace était déjà fragile en ce mois de mars et il nous était interdit d’y mettre les pieds. Eh voilà, moi j’avais mon argent de poche, mais pas mes deux camarades. Et moi j’avais peur de la cravache de mon père, mais pas mes camarades. Et surtout j’avais peur moi des corps qui flottaient encore dans le ventre de l’épave. Une peur inconnue à mes camarades qui ne craignaient pas non plus de risquer que la glace ne casse sous leurs pas alourdis par leurs sacs de ferraille. Alors ils sont partis sans moi et ils ne sont jamais revenus. Mais moi, ce jour-là, j’ai échappé de justesse à la mort.

     Cette épave s’appelait le Cap Arcona, qui avait d’abord été un grand paquebot de luxe, avant d’être changé en camp de concentration flottant qui avait été bombardé ensuite par des pilotes anglais qui croyaient qu’ils tiraient les derniers fugitifs du régime d’Hitler. C’est comme ça qu’ils ont tué quatre mille hommes, femmes et enfants, évacués du camp de concentration de Neuengamme pas loin de Hambourg, et transférés sur le Cap Arcona pour y être coulés avec.

    La mort, l’horreur incompréhensible, je l’ai vécue très tôt. J’ai commencé  très tard à écrire, mais la Mort a été une de mes impulsions. Depuis j’écris  pour ne pas crier parfois.

     PASSÉ

Le thème de mes deux premiers livres comme de mes premiers textes de voyage était la Mort civile et militaire. Au début des années quatre-vingt, j’ai lu dans un journal de Berlin West l’histoire d’un maçon ivre, presque tué  par les balles de la police. Après avoir rencontré cet homme qui non seulement m’avait raconté sa version de cette violence policière inutile mais toute sa vie en plus, je me suis senti comme si ces balles avaient troué mon ventre à moi. Pendant que j’écrivais Schüsse in Dombrowskis Bauch(Tirées dans le ventre de Monsieur Dombrowski,) je travaillais sur la littérature de la Grand Guerre, ou si vous voulez, sur la Deuxième Guerre de Trente Ans qui dura, vous vous en souvenez, de 1914 jusqu’en 1945. Mon grand-père n’arrêtait pas de me raconter des histoires de Sa guerre. Mon père se taisait plutôt sur la Sienne. Mon père est né dans la guerre de mon grand père, en 1915 et ma mère en 1917. Mais elle m’a donné naissance – au forceps d’ailleurs – en 1941 quand mon père faisait le travail d’Hitler comme officier en Russie.

     Vous voyez la folie de cette vie?

     Moi en tout cas, plus je l’ai compris cette aliénation mentale et collective, plus profondément je me suis indigné et révolté contre elle. Et je voulais écrire sur tout ça,  aussi pour me libérer de cette folie sanglante. Mais en vain ! Parce que pendant que j’écrivais mes  livres, j’ai décidé de m’engager comme Maoiste, subordonné comme un mouton à l’idéologie peut-être la plus sanglante depuis toujours. En croyant lutter pour la Bonne Cause, je me suis battu plus ou moins consciemment si non innocemment pour le Mal Absolu, la Mort de plus de vingt millions personnes en Chine, sans compter les morts des Khmers Rouges. A ce jour encore je n’ai presque pas pu écrire  sur ce sujet-là.

     PRÉSENT

Nous autres humains sommes capables de nous massacrer sous des conditions économiques et politiques spéciales. Quelques-uns regardent, quelques-uns se détournent, d’autres écrivent. Mais les meurtres de masses individuels et collectifs continuent. Un roman allemand, écrit et célébré il y a plus d’un demi-siècle, est redécouvert et relu aujourd’hui, et c’est un succès mondial. La New York Times parle d’un évènement littéraire grandiose. Il s’agit du dernier roman de Hans Fallada, Seul à Berlin, vendu en Grande Bretagne à trois cent mille exemplaires, lu en plus de vingt pays, en Israël entre autres. Fallada nous raconte l’histoire d’une résistance  sans espoir et même maladroite d’un couple berlinois contre le régime de Terreur des Nazis. Après la mort de leur fils dans la guerre contre la France, ils écrivent des cartes postales dénonçant le système d’Hitler, et les distribuent dans les entrées et cages d’escaliers des grands bâtiments pendant deux ans, avant de finir guillotinés par la Gestapo qui les surveillait depuis longtemps.

    Une histoire sinistre et angoissante. Pourquoi son succès énorme et justement aujourd’hui ? Parce qu’en dehors du fait qu’il nous montre la Résistance, certes isolée, des Allemands eux-mêmes, ce récit est très actuel. Seul à Berlin nous montre vivement que toute résistance, même individuelle, vaut la peine d’être tentée, comme nous rappelle aussi l’histoire des habitants du Larzac. Tous cela nous interpelle : Qu’est-ce que j’aurais fais alors, qu’est-ce que devrais-je faire, moi, aujourd’hui ? Réagir, résister ?   

     D’ailleurs, Fallada n’a pas connu la vérité tout entière de sur cette femme et cet homme ordinaire mais héroïque à qui, une fois connue leur condamnation, se dénoncèrent  l’un l’autre pour échapper à la Mort. Fallada a donné et nous donne encore maintenant le courage de ne pas se résigner, de résister. Mais comment aurait-il écrit son roman s’il avait connu la réalité très humaine et affreuse à la fois de ce couple historique ? En 1947 il fallait redonner surtout courage et moral à tout le monde. Mais aujourd’hui ? Combien d’atrocités nous faut-il  encore?

     La décadence de la démocratie devient de plus en plus évidente, et moi je me demande si je ne devrais pas réagir et résister moi aussi de nouveau ? Mais comment résister à certains phénomènes totalitaires du système politique et de ses médias, et pas seulement en France ? La surveillance électronique de plus en plus, l’espionnage des consommateurs, avec leurs accord tacite, jusqu’au niveau de leurs sentiments et rêves, la  politique déjà vécue comme spectacle excitant depuis Hitler et Staline. Bref : Le Narcosarcocaine !

Que faire contre le nouveau populisme avec ces éléments nationalistes et racistes dans toute l’Europe? Il me semble à moi, comme à beaucoup d’autres, que nous nous trouvons dans le piège d’une liberté fondée sur un parlementarisme qui ne fonctionne plus,  qui a démissionné devant les Banques et  les Grandes Fortunes. Et à l’horizon j’aperçois  les trois têtes d’une dictature douce d’abord, mortelle à la fin: L’Argent, la Technologie et le Sexe – pour reproduire des hydres ! Et nos stars, les politiciens, sont à leur service.

     Avant ma conclusion, souvenons-nous de notre histoire depuis l’année 1945 : C’est à la fin de la Guerre Mondiale, que débute l’Époque Nucléaire. Et il me semble à moi que nous sommes restés depuis les prisonniers d’un désastre infini.

     CONCLUSION

Quoi faire, comment écrire aujourd’hui, je me le demande. Maintenant que ni Virginia Woolf ni Antonin Artaud ne nous font plus peur. Au contraire, le côté cruel du théâtre d’Artaud avec ses orgies de sang et de terreur nous dégoûte et ne fait que montrer ce que nous vivons déjà. ÇA ne nous réveille plus ! Quel rôle reste-t-il à un théâtre qui veut être plus qu’un badigeonnage coloré devant un public à moitié endormi qui veut s’amuser encore un peu avec la culture avant de mourir ?

     Paul M Waschkau, poète de l’Underground berlinois, qui a récemment reçu un prix du théâtre de Würzburg, nous répond: Puisque le théâtre ne peut ni changer le monde réel, ni déplacer les montagnes, même pas les montagnes de poubelles, le théâtre devrait plutôt danser aux bords des cratères humains. Qu’est-ce qu’il veut nous dire avec cela, notre poète underground ? Que le théâtre devient laboratoire de la Vie, du Travail et de nos Rêves . . . théâtre du monde alternatif, où l’on travaille à transcender la Réalité, théâtre à sortir des faits divers et des catastrophes . . . Mais puisque des larmes il y a en a déjà assez, théâtre où l’on rit aussi !

     L’autre jour, quel beau hasard, j’ai rencontré Tim Dalton, metteur en scène à Aurillac, qui m’a fait souvenir de la Commedia d’el Arte et du film de Madame Mnouchkine sur Molière avec la fameuse scène du marché, la scène du marchand suant la richesse et son combat perdu contre la Mort. Je me souviens surtout de cette scène superbe, qui a fait rire les gens du marché dans le film et nous les spectateurs dans la salle du cinéma. Et j’imagine maintenant le rire de nous tous ici qui savons très bien que finalement  nous non plus n’échapperons pas à la Mort . . . et, qu’est-ce que c’est que ça ? Qu’est-ce que je vois ? Regardons ! Regardons-nous les uns les autres . . . Et voilà : Nous sourions déjà,  tout doucement mais quand-même, n’est-ce pas ? Et pourquoi ? Parce que nous sommes en vie . . . . encore . . . à cet instant !

          Où la vie est aussi belle – parce  qu’il y a la Mort !

     C’est pour cela je me dis finalement : Carpe diem ! Pflücke den Tag wie eine Blume. Cueille le jour comme une fleur. Sois heureux le jour de ta vie, avec la nuit à sa fin. Rien ne s’oppose à la nuit, sauf le rire . . . et l’amour peut-être. Mais ça, l’amour, ça pourrait devenir un prochain thème du Débat du Marché . . . !

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(Ecrit et lu par Eckhardt en collaboration avec Geneviève Momber samedi le 21 janvier 2011 au Débat du Marché d’Aurillac)

Autour de Roudi

Roudi vit avec nous, ses amies les juments, les chats et les poules quelque part en Auvergne. Parfois Roudi me regarde avec un œil tellement humain qu’il me fait penser à Lucius, le pauvre, qu’on a transformé en âne, L’âne d’or d’Apulée ; vers 125 après JC. Bien que cet âne, le fameux héro du premier roman de l’Antiquité, et Roudi dans son pré, vivent dans deux mondes tout à fait différents, ils ont quand même une chose en commun : Ils observent tous les deux les comportements bizarres si non atroces des êtres humains. Et j’imagine qu’ils ont de temps en temps envie de s échapper, de partir loin . . . Comme cet âne que je pus observer au cours du printemps 2004, alors que je me trouvais à bord d’un porte-conteneur qui me ramenait en Europe, après 20 ans passés au Japon.

Alors que défilait comme en rêve, sous mes yeux, l’Egypte du canal du Suez, j’aperçus us un troupeau d ânes, dont l’un s’échappa pour foncer droit vers le désert. Le frère de Roudi ! Et son propriétaire jurait et fouettait son ânesse, petite sœur de la Modestine de Stevenson, et lui donnait des coups de talons dans le ventre pour la lancer à la poursuite du pauvre fugitif…

Me voici donc maintenant en Europe, mais c est seulement il y a deux ans que je me suis décidé, l’hiver 2008/9, à écrire dans la langue de mon pays d’élection. Qui sait ! Si je ne m’étais pas cassé la cheville devant ma porte cet automne-là, j’aurais peut-être continué à écrire en Allemand. Et à vrai dire, j’ignore encore aujourd‘hui si quelqu’un, dans l’océan de Google, peut s’intéresser à ce que j’ai écrit et continuerai à écrire.