lundi 24 octobre 2011

Heinrich von Kleist au téléphone

Ecrit et lu par Eckhardt Momber, dansé par Christine Graz le 20 octobre 2011 à la Galérie Anne de Villepoix dans le Marais, Paris


Une femme, un homme

Leur dernier soir

Leurs lettres d’Adieu

Ses manuscrits brûlés

-

Ils se couchèrent tard, très tard

Dans des chambres séparées

-

Le lendemain,

Qu’ils étaient gais, exubérants,

Comme des enfants,

Le matin de leur dernière journée

-

Nous  les voyons encore, de l’autre côté de l’eau, loin,

Ils s’amusaient comme des fous,

Ils dansaient,

Ils jetaient des pierres dans l’eau,

-

Soudain

Deux coups de feu . . .

Le 20 novembre 1811

-

La première balle perfore le sein d’Henriette jusqu’au cœur

Peu de sang sur sa robe et ses sous-vêtements tout blancs

La deuxième balle perfore la bouche d’Henri et reste dans le cerveau

-

Quand on les trouve

Ils sourient tous les deux

SEREINS

Comme s’ils avaient ouvert la bonne porte

-

Heinrich von Kleist

Ihr tiefes Fühlen

Votre cœur, votre enfer

-

Heinrich von Kleist,

Poète prussien

UN DES NÔTRES !

Catastrophé comme nous

AVERTI :

WAS IST LOS ?

Was ist denn bloß los hier, verflucht !

-

Soldat à 14 ans, Lieutenant à 19 ans

Il joue de la clarinette dans la garnison

-

Heinrich von KLEIST :

H V K !

Éternel étranger, sans domicile fixe

H V K / S D F !

Nomade de la pensée humaine

-

Drôle de zèbre

Drôle de bègue dans les salons

Devant les femmes à plus forte raison

H V K !

Fou de l’amour, fou de la mort

-

HEINRICH,

Vous me faites  frémir

Vous me faites peur

DE MOI-MÊME

-

Il y a quelque chose là, chez vous

Et cela ne me lâche pas !

Parfois, vous savez, j’oublie

Que vous êtes mort il y a deux cent ans !

-

DEUX CENT ANS !

Vous êtes tellement loin et quand même 

Je vous sens à côté de moi

Parfois . . .

MAINTENANT !

Elle commence à se déshabiller

 Cette urgence extrême, explosive

EX / CES / SIVE

Ces textes accouchés sur le fils du rasoir . . . d’une vie trop courte !

TROP COURTE !

H V K 

Il Avance vers les spectateurs

Vous savez ce qu’il a écrit le matin de sa mort ?

„Mir  war  auf  Erden  nicht  zu  helfen.“

There was no help for me on earth!

Elle au téléphone:

HALLO? MISTER KLEIST . . .


Désaccoutume-toi,

Bien-aimée, de l’époux !

Et fais la différence entre lui et moi.

Elle me fait mal, cette  outrageuse confusion,

Et il m’est insupportable de penser

Que tu as accueilli seulement ce fat

Qui froidement croit avoir un droit sur toi.

C’est Moi, ma douce lumière,

Cet être singulier, qui veut t’être apparu,

Ton vainqueur, parce que l’art de vaincre

Me fut enseigné par les dieux tout puissants.


Wer spricht da, meine Damen und Herren !

Qui parle l’a, Mesdames et messieurs ?

C’est Jupiter, le chef des dieux

Déguisé en homme, déguisé en Amphitryon

Le mari d’Alcmène,

Elle belle, jeune, innocente

Alcmène qui ne sait pas encore

Qu’elle a fait l’amour  avec un dieu, le dieu des dieux c

Déguisé, changé en Amphitryon

-

JUPITER :

Alors promets-moi que cette joyeuse fête,

Que nous avons célébrée pour nos heureuses retrouvailles,

Ne s’effacera pas de ta mémoire ;

-

Que tu ne confondras pas cette nuit divine

Que nous avons vécue, ô mieux aimée,

Avec l’ordinaire quotidien du mariage.

-

Promets, dis-je, que tu penseras à moi,

Lorsqu’Amphitryon sera de retour - ?

-

Meine Damen und Herren!

Mag sein, dass Gott tot ist.

-

Die Götter in den Männern sind es nicht!

Aux hommes les dieux ne sont pas morts!

-

Nous, les hommes, nous voulons tous être PLUS que les autres :

Moi plus fort, moi plus viril, moi  plus . . . bref :

Divin !

-

Écoutez celui-là, Jupiter, un des nôtres  

Quand il demande à la jeune Alcmène, avant de s’en aller :

Cette nuit t’a semblé plus courte que les autres ?

Elle : Ah ! O !

Trois fois !

Les Deux offrent du vin rouge aux spectateurs, prennent eux-mêmes une bouteille et deux verres et vont dehors sur la rue, trinquent, se tâchent leurs vêtements blancs, brisent les verres et la bouteille.

Et reviennent, elle dans ses bras

-

PENTHÉSILÉE :

EINE ZERREISSPROBE

DÉCHIRURE CHARNELLE, MORTELLE

-

O Achille !

 Mon rêve constant, c’était toi !

Le monde entier était devant moi étendu comme un grand tissu

-

Dans chaque maille, large et vaste,

Était cousu un de tes exploits,

Et dans mon cœur blanc et pur comme la soie

Je les marquais en lettres de feu.

-

Tantôt je voyais comment tu l’abattais

Comment, enflammé par la jouissance de la victoire,

Tu détournais ton visage tandis que son front

Ensanglanté traînait sur la terre nue ;

-

Il avance vers les spectateurs :

Vous avez entendu cela ?

Comme Penthésilée elle est ravie de la cruauté de son amour Achille ?

Quelle femme !

Quel sens de la cruauté de l’amour !

Quelle éducation sentimentale !

.

Sie werden schon sehen !

La cruauté en action

Et ça par un simple malentendu :

IL croit elle voudrait l’aimer

Elle croit il voudrait l’abattre


ELLE arme le désir ardent de le posséder

De tous les effrois de la guerre.

Entourée de la meute hurlante et d’éléphants,

Elle s’approche, l’arc à la main :

-

Il se laisse tomber à ses pieds

-

ELLE bande avec la force des déments

Son arc, en sorte que les extrémités se touchent

-

ELLE Relève l’arc … et Vise …. et … Tire,

Et lui décoche la flèche dans le cou 

-

La flèche, saillante dans la nuque

IL se relève dans un râle et tombe

Et se relève encore et veut s’enfuir 

-

Et elle . . .

-

Elle plante, arrachant la cuirasse de son corps,

Ses dents, les plantes dans sa blanche poitrine.

-

Elle et les chiens rivalisent

Le côté gauche pour Penthésilée 

Le sang dégouttait de sa bouche et de ses mains.

Vers les spectateurs

Meine Damen und Herren !

Et cela, ce cannibalisme à Weimar, où Goethe régnait ?

Le Jupiter de la littérature allemande ?

NEIN UND NOCHMALS NEIN!

OH SCANDALE !

-

Et ce n’est pas encore fini,

Vous allez voir !

-

PENTHÉSILÉE

Je l’ai lacéré ?

Je l’aurais enlacé à mourir ?

Non ? Pas enlacé ? Lacéré vraiment ?

-

(Chuchoté!)

ENLACER LACÉRER

Cela rime et celui qui aime d’un cœur ardent

Peut prendre l’un pour l’autre.

-

Plus  d’une femme qui se pend au cou de son amant

Dit ces mots : je t’aime, ô tant,

D’un tel amour que je pourrais te manger !

-

Eh bien, mon Achille, je n’ai pas procédé ainsi.

Tu le vois : quand je me suis pendue à ton cou, moi

J’ai tenu parole, mot pour mot ;

Voix basse râpée, féroce, délirante

Et maintenant je descends au sein de moi
Comme au fond d'une mine et j'en retire,
Glacial minerai, le sentiment qui va m'anéantir.
-

Ce minerai, je le purifie au feu de la détresse
Pour qu'il soit dur comme l'acier; je le trempe
Dans mon poison du remords, brûlant comme un acide;
-

Je le porte sur l'enclume éternelle de l'espérance
Et le forge et l'affile en poignard;
Et à ce poignard j'offre mon sein:


Là ! Là ! Là! Là !

Und wieder ! –

Nun ist’s gut !

-

Wirklich , meine Damen und Herren?

Wirklich gut?

Schrecklich schön?

Was war denn das da?

Noch ein Selbstmord?

Nur ein Selbstmord?

Seulement un suicide? Pas seulement ?

Que  ça?

Qu’est-ce que vous en pensez ?

-

Vous savez, une dame, à peu près de mon âge, me l’a dit, il y a longtemps :

Penthésilée à la fin, son LaLaLaLa  là?

Sexe, que de Sexe !

Il vocalise l’orgasme :

LAA/ LAAA/ LÀ ! LAAAA

-

Les Deux se déshabillent jusqu’aux sous-vêtements, s’habillent avec deux robes pareilles, se maquillent, se mettent des perruques ou/et des lunaires :

PANTOMIME :

(1. Dans la jungle,2. contre le mur,3. bestiaux, 3. escabeau du ciel)

-

Les deux sur deux chaises,

Elle lui lit  UNE LETTRE D’AMOUR, HENRIETTE À HENRI :

Elle :

« Mein Heinrich  mein süßtönender mon carré de jacinthe  mon lac de délice  mon aurore

mon flamboiement  ma rosée  mon arc de paix  enfantin de mon sein  mon paradis  ma larme

 mon échelle au ciel   mein Johannes  mon Tasso   mon chevalier   mon Comte de Strahl 

mon page doux  mon poète d’airain  mon cristal  ma source de vie mon bonheur ma mort

mon maître  et mon écolier, comme plus que tout ce qui était pensé et qui sera pensé je t’aime

 Tu auras mon âme, mein kranker Heinrich, mon petit agneau blanc tout tendre, ma porte du ciel. « 

-

Il :

Malade?

Était-il malade, Kleist?

Seulement malade ?

D’après Goethe, OUI.

-

Goethe détestait Kleist.

Kleist adorait Goethe.

-

Kleist a supplié Goethe de mettre en scène « Penthésilée » à Weimar.

Goethe a dit Non.

Alors même que Kleist était à genoux devant Goethe, litteralement :

SUR LES GENOUX DE SON CŒUR !

OÙ ?

SUR LES GENOUX DE SON CŒUR !

-

C’est où cela? 

AUF DEN KNIEN MEINES HERZENS!

-

LETTRES d’ADIEU d’HEINRICH ET d’HENRIETTE :

(Aux spectateurs !)

Heinrich :

-          N’oubliez pas de payer mon barbier encore . . . N’oubliez surtout pas à expédier mes dernières lettres . . . Et, je vous en prie,  venez donc aussi tôt que possible ici à Stimmings, pour nous inhumer . . .

-          Heinrich :

-          Très chère sœur Ulrike, quand je t’avais demandé si tu voulais mourir avec moi, tu as toujours dis non. Et maintenant je préfère la tombe d’Henriette aux  lits de toutes les princesses du monde . . .   

-          Henriette :

-          Nous vous attendons dans une posture étrange, abattus au bord du lac. Pourquoi, je vous le raconterai dans un autre monde, aujourd’hui je suis un peu pressée . . .


Autour de Roudi

Roudi vit avec nous, ses amies les juments, les chats et les poules quelque part en Auvergne. Parfois Roudi me regarde avec un œil tellement humain qu’il me fait penser à Lucius, le pauvre, qu’on a transformé en âne, L’âne d’or d’Apulée ; vers 125 après JC. Bien que cet âne, le fameux héro du premier roman de l’Antiquité, et Roudi dans son pré, vivent dans deux mondes tout à fait différents, ils ont quand même une chose en commun : Ils observent tous les deux les comportements bizarres si non atroces des êtres humains. Et j’imagine qu’ils ont de temps en temps envie de s échapper, de partir loin . . . Comme cet âne que je pus observer au cours du printemps 2004, alors que je me trouvais à bord d’un porte-conteneur qui me ramenait en Europe, après 20 ans passés au Japon.

Alors que défilait comme en rêve, sous mes yeux, l’Egypte du canal du Suez, j’aperçus us un troupeau d ânes, dont l’un s’échappa pour foncer droit vers le désert. Le frère de Roudi ! Et son propriétaire jurait et fouettait son ânesse, petite sœur de la Modestine de Stevenson, et lui donnait des coups de talons dans le ventre pour la lancer à la poursuite du pauvre fugitif…

Me voici donc maintenant en Europe, mais c est seulement il y a deux ans que je me suis décidé, l’hiver 2008/9, à écrire dans la langue de mon pays d’élection. Qui sait ! Si je ne m’étais pas cassé la cheville devant ma porte cet automne-là, j’aurais peut-être continué à écrire en Allemand. Et à vrai dire, j’ignore encore aujourd‘hui si quelqu’un, dans l’océan de Google, peut s’intéresser à ce que j’ai écrit et continuerai à écrire.