Ecrit et lu par Eckhardt Momber, dansé par Christine Graz le 20 octobre 2011 à la Galérie Anne de Villepoix dans le Marais, Paris
Une femme, un homme
Leur dernier soir
Leurs lettres d’Adieu
Ses manuscrits brûlés
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Ils se couchèrent tard, très tard
Dans des chambres séparées
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Le lendemain,
Qu’ils étaient gais, exubérants,
Comme des enfants,
Le matin de leur dernière journée
-
Nous les voyons encore, de l’autre côté de l’eau, loin,
Ils s’amusaient comme des fous,
Ils dansaient,
Ils jetaient des pierres dans l’eau,
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Soudain
Deux coups de feu . . .
Le 20 novembre 1811
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La première balle perfore le sein d’Henriette jusqu’au cœur
Peu de sang sur sa robe et ses sous-vêtements tout blancs
La deuxième balle perfore la bouche d’Henri et reste dans le cerveau
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Quand on les trouve
Ils sourient tous les deux
SEREINS
Comme s’ils avaient ouvert la bonne porte
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Heinrich von Kleist
Ihr tiefes Fühlen
Votre cœur, votre enfer
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Heinrich von Kleist,
Poète prussien
UN DES NÔTRES !
Catastrophé comme nous
AVERTI :
WAS IST LOS ?
Was ist denn bloß los hier, verflucht !
-
Soldat à 14 ans, Lieutenant à 19 ans
Il joue de la clarinette dans la garnison
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Heinrich von KLEIST :
H V K !
Éternel étranger, sans domicile fixe
H V K / S D F !
Nomade de la pensée humaine
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Drôle de zèbre
Drôle de bègue dans les salons
Devant les femmes à plus forte raison
H V K !
Fou de l’amour, fou de la mort
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HEINRICH,
Vous me faites frémir
Vous me faites peur
DE MOI-MÊME
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Il y a quelque chose là, chez vous
Et cela ne me lâche pas !
Parfois, vous savez, j’oublie
Que vous êtes mort il y a deux cent ans !
-
DEUX CENT ANS !
Vous êtes tellement loin et quand même
Je vous sens à côté de moi
Parfois . . .
MAINTENANT !
Elle commence à se déshabiller
Cette urgence extrême, explosive
EX / CES / SIVE
Ces textes accouchés sur le fils du rasoir . . . d’une vie trop courte !
TROP COURTE !
H V K
Il Avance vers les spectateurs
Vous savez ce qu’il a écrit le matin de sa mort ?
„Mir war auf Erden nicht zu helfen.“
There was no help for me on earth!
Elle au téléphone:
HALLO? MISTER KLEIST . . .
Désaccoutume-toi,
Bien-aimée, de l’époux !
Et fais la différence entre lui et moi.
Elle me fait mal, cette outrageuse confusion,
Et il m’est insupportable de penser
Que tu as accueilli seulement ce fat
Qui froidement croit avoir un droit sur toi.
C’est Moi, ma douce lumière,
Cet être singulier, qui veut t’être apparu,
Ton vainqueur, parce que l’art de vaincre
Me fut enseigné par les dieux tout puissants.
Wer spricht da, meine Damen und Herren !
Qui parle l’a, Mesdames et messieurs ?
C’est Jupiter, le chef des dieux
Déguisé en homme, déguisé en Amphitryon
Le mari d’Alcmène,
Elle belle, jeune, innocente
Alcmène qui ne sait pas encore
Qu’elle a fait l’amour avec un dieu, le dieu des dieux c
Déguisé, changé en Amphitryon
-
JUPITER :
Alors promets-moi que cette joyeuse fête,
Que nous avons célébrée pour nos heureuses retrouvailles,
Ne s’effacera pas de ta mémoire ;
-
Que tu ne confondras pas cette nuit divine
Que nous avons vécue, ô mieux aimée,
Avec l’ordinaire quotidien du mariage.
-
Promets, dis-je, que tu penseras à moi,
Lorsqu’Amphitryon sera de retour - ?
-
Meine Damen und Herren!
Mag sein, dass Gott tot ist.
-
Die Götter in den Männern sind es nicht!
Aux hommes les dieux ne sont pas morts!
-
Nous, les hommes, nous voulons tous être PLUS que les autres :
Moi plus fort, moi plus viril, moi plus . . . bref :
Divin !
-
Écoutez celui-là, Jupiter, un des nôtres
Quand il demande à la jeune Alcmène, avant de s’en aller :
Cette nuit t’a semblé plus courte que les autres ?
Elle : Ah ! O !
Trois fois !
Les Deux offrent du vin rouge aux spectateurs, prennent eux-mêmes une bouteille et deux verres et vont dehors sur la rue, trinquent, se tâchent leurs vêtements blancs, brisent les verres et la bouteille.
Et reviennent, elle dans ses bras
-
PENTHÉSILÉE :
EINE ZERREISSPROBE
DÉCHIRURE CHARNELLE, MORTELLE
-
O Achille !
Mon rêve constant, c’était toi !
Le monde entier était devant moi étendu comme un grand tissu
-
Dans chaque maille, large et vaste,
Était cousu un de tes exploits,
Et dans mon cœur blanc et pur comme la soie
Je les marquais en lettres de feu.
-
Tantôt je voyais comment tu l’abattais
Comment, enflammé par la jouissance de la victoire,
Tu détournais ton visage tandis que son front
Ensanglanté traînait sur la terre nue ;
-
Il avance vers les spectateurs :
Vous avez entendu cela ?
Comme Penthésilée elle est ravie de la cruauté de son amour Achille ?
Quelle femme !
Quel sens de la cruauté de l’amour !
Quelle éducation sentimentale !
.
Sie werden schon sehen !
La cruauté en action
Et ça par un simple malentendu :
IL croit elle voudrait l’aimer
Elle croit il voudrait l’abattre
ELLE arme le désir ardent de le posséder
De tous les effrois de la guerre.
Entourée de la meute hurlante et d’éléphants,
Elle s’approche, l’arc à la main :
-
Il se laisse tomber à ses pieds
-
ELLE bande avec la force des déments
Son arc, en sorte que les extrémités se touchent
-
ELLE Relève l’arc … et Vise …. et … Tire,
Et lui décoche la flèche dans le cou
-
La flèche, saillante dans la nuque
IL se relève dans un râle et tombe
Et se relève encore et veut s’enfuir
-
Et elle . . .
-
Elle plante, arrachant la cuirasse de son corps,
Ses dents, les plantes dans sa blanche poitrine.
-
Elle et les chiens rivalisent
Le côté gauche pour Penthésilée
Le sang dégouttait de sa bouche et de ses mains.
Vers les spectateurs
Meine Damen und Herren !
Et cela, ce cannibalisme à Weimar, où Goethe régnait ?
Le Jupiter de la littérature allemande ?
NEIN UND NOCHMALS NEIN!
OH SCANDALE !
-
Et ce n’est pas encore fini,
Vous allez voir !
-
PENTHÉSILÉE
Je l’ai lacéré ?
Je l’aurais enlacé à mourir ?
Non ? Pas enlacé ? Lacéré vraiment ?
-
(Chuchoté!)
ENLACER LACÉRER
Cela rime et celui qui aime d’un cœur ardent
Peut prendre l’un pour l’autre.
-
Plus d’une femme qui se pend au cou de son amant
Dit ces mots : je t’aime, ô tant,
D’un tel amour que je pourrais te manger !
-
Eh bien, mon Achille, je n’ai pas procédé ainsi.
Tu le vois : quand je me suis pendue à ton cou, moi
J’ai tenu parole, mot pour mot ;
Voix basse râpée, féroce, délirante
Et maintenant je descends au sein de moi
Comme au fond d'une mine et j'en retire,
Glacial minerai, le sentiment qui va m'anéantir.
-
Ce minerai, je le purifie au feu de la détresse
Pour qu'il soit dur comme l'acier; je le trempe
Dans mon poison du remords, brûlant comme un acide;
-
Je le porte sur l'enclume éternelle de l'espérance
Et le forge et l'affile en poignard;
Et à ce poignard j'offre mon sein:
Là ! Là ! Là! Là !
Und wieder ! –
Nun ist’s gut !
-
Wirklich , meine Damen und Herren?
Wirklich gut?
Schrecklich schön?
Was war denn das da?
Noch ein Selbstmord?
Nur ein Selbstmord?
Seulement un suicide? Pas seulement ?
Que ça?
Qu’est-ce que vous en pensez ?
-
Vous savez, une dame, à peu près de mon âge, me l’a dit, il y a longtemps :
Penthésilée à la fin, son LaLaLaLa là?
Sexe, que de Sexe !
Il vocalise l’orgasme :
LAA/ LAAA/ LÀ ! LAAAA
-
Les Deux se déshabillent jusqu’aux sous-vêtements, s’habillent avec deux robes pareilles, se maquillent, se mettent des perruques ou/et des lunaires :
PANTOMIME :
(1. Dans la jungle,2. contre le mur,3. bestiaux, 3. escabeau du ciel)
-
Les deux sur deux chaises,
Elle lui lit UNE LETTRE D’AMOUR, HENRIETTE À HENRI :
Elle :
« Mein Heinrich mein süßtönender mon carré de jacinthe mon lac de délice mon aurore
mon flamboiement ma rosée mon arc de paix enfantin de mon sein mon paradis ma larme
mon échelle au ciel mein Johannes mon Tasso mon chevalier mon Comte de Strahl
mon page doux mon poète d’airain mon cristal ma source de vie mon bonheur ma mort
mon maître et mon écolier, comme plus que tout ce qui était pensé et qui sera pensé je t’aime
Tu auras mon âme, mein kranker Heinrich, mon petit agneau blanc tout tendre, ma porte du ciel. «
-
Il :
Malade?
Était-il malade, Kleist?
Seulement malade ?
D’après Goethe, OUI.
-
Goethe détestait Kleist.
Kleist adorait Goethe.
-
Kleist a supplié Goethe de mettre en scène « Penthésilée » à Weimar.
Goethe a dit Non.
Alors même que Kleist était à genoux devant Goethe, litteralement :
SUR LES GENOUX DE SON CŒUR !
OÙ ?
SUR LES GENOUX DE SON CŒUR !
-
C’est où cela?
AUF DEN KNIEN MEINES HERZENS!
-
LETTRES d’ADIEU d’HEINRICH ET d’HENRIETTE :
(Aux spectateurs !)
Heinrich :
- N’oubliez pas de payer mon barbier encore . . . N’oubliez surtout pas à expédier mes dernières lettres . . . Et, je vous en prie, venez donc aussi tôt que possible ici à Stimmings, pour nous inhumer . . .
- Heinrich :
- Très chère sœur Ulrike, quand je t’avais demandé si tu voulais mourir avec moi, tu as toujours dis non. Et maintenant je préfère la tombe d’Henriette aux lits de toutes les princesses du monde . . .
- Henriette :
- Nous vous attendons dans une posture étrange, abattus au bord du lac. Pourquoi, je vous le raconterai dans un autre monde, aujourd’hui je suis un peu pressée . . .